« LE TEMPS D’UN AUTRE VOYAGE »

Clara est Rom, née en Pologne il y a 29 ans. Avant d’être emprisonnée pour vol au mois de janvier 2000 à la prison de la Tuilière, Clara vivait dans une petite ville à quelques kilomètres au nord de Francfort. Mère de quatre filles, Clara est, comme la plupart des femmes tsiganes, analphabète. Au mois d’avril 2001, elle a souhaité réaliser un travail photographique sur les Tsiganes suisses. Ce projet avait comme but général de donner une autre image des gens du voyage et de faire connaissance avec leur mode de vie. La démarche effectuée à travers l’Atelier de photographie a permis à cette femme de s’interroger sur les conditions de cohabitation entre nomades et sédentaires. Pour cela, elle a pu bénéficier de quatre sorties accompagnées d’un assistant social pour se rendre dans un camp de la Mission évangélique tsigane à Lavigny (VD). Le résultat de ce travail est une exposition de photos et de textes qui s’intitule « Le temps d’un autre voyage » qui a été inaugurée en présence d’une trentaine d’invités provenant de l’extérieur de la prison. Quelques questions ont été posées à Clara, afin de connaître ce qu’elle a vécu durant ce projet original.

Comment s’est déroulée la première journée à l’extérieur des murs de la prison, après 18 mois d’incarcération ?
Cette première sortie m’a fait du bien. La tête me tournait quand même un peu. Et j’ai eu peur de sortir par la porte. Peur que toutes les personnes me regardent comme une prisonnière. C’est comme si j’avais oublié tout ce qu’il y a dehors. Et ce jour-là, j’ai pensé que ce n’est pas la réalité. Je ne croyais pas que j’étais dehors.

Qu’est-ce que ça a provoqué en vous lorsque vous avez photographié le camp de la Mission évangélique tsigane ?
Je me suis souvenue comment ma vie était avant. Les roulottes, la liberté, les fêtes qu’on faisait au camp. Et de regarder de nouveau ça, ça m’a donné du courage.

Pensez-vous recommencer à voyager comme lorsque vous étiez enfant ?
Non, juste durant quelques semaines à la belle saison. Je veux retourner à Francfort vivre dans un appartement et que mes enfants commencent l’école. Je veux que mes filles ne suivent pas le même chemin que moi.

Est-ce que le fait d’avoir réalisé un projet personnel vous a permis de réfléchir sur votre vie ?
Oui. J’ai beaucoup pensé aux choses que j’ai faites. Ce que j’ai fait n’était pas bien. Avant, il y avait la liberté. Je n’ai jamais pensé que la liberté avait une valeur comme ça. Je ne peux pas vous expliquer avec des paroles. Je n’avais pas connu de différence comme ça. On ne peut pas la payer avec de l’argent et ce n’est pas possible d’expliquer comment la liberté fait du bien.

Avez-vous plus confiance en vous après avoir réalisé un travail photographique ?
Oui, ça aussi. Et puis ça m’a fait du bien qu’on m’autorise à sortir. Parce qu’avant, le directeur, le surveillant-chef, pensaient que si je sortais, je m’évaderais. Et moi, toujours, j’ai dit que je ne le ferais pas. Ça fait aussi mal quand une personne dit une chose et tu sais que ce n’est pas vrai ça.

Vous pouvez me parler de l’inauguration de votre exposition ?
C’était très bien. J’étais nerveuse au début. Mais après ça a été parce que les personnes ont été très gentilles avec moi. Elles ont discuté avec moi. Vous savez ici, c’est comme une planète. Et quand je regarde les personnes qui proviennent de dehors, elles sont différentes de la prison.

Et qu’est-ce que les personnes vous ont dit ?
Que les photos sont très bien. Ça m’a fait du bien pour le moral et pour le coeur.

En avril 2002, Clara a été au bénéfice d’une libération conditionnelle et elle a été expulsée du territoire suisse en direction de la Pologne.

Aujourd’hui, elle vit, avec ses enfants et sa mère, dans une petite ville au nord de Francfort. Cette famille est en attente d’un permis de séjour.


Propos recueillis par Christophe Pittet

Copyright Christophe Pittet - Last update: 01.03.2010